La situation de la France concernant les traductions assermentées est doublement spécifique :

Premier point, l’Etat français ne reconnaît pas la compétence des experts des autres pays européens, et a fortiori ceux des pays hors UE. Toute traduction à destination d’une administration doit donc obligatoirement être effectuée par un expert près d’une cour d’appel ou la Cour de cassation.

La situation est différente dans la plupart des autres pays européens et même au-delà : nous effectuons souvent des traductions destinées aux autorités espagnoles ou sud-américaines, alors que nous sommes experts près la cour d’appel de Toulouse.

Second aspect, le titre d’expert est protégé, mais pas la fonction. Les sanctions sont lourdes pour toute usurpation du titre : un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende pour « usage, sans droit, d’un titre attaché à une profession réglementée par l’autorité publique ».

L’article 433-17 du Code pénal punit de même toute personne qui se ferait passer par exemple pour un médecin. Mais la symétrie s’arrête là, car si le délit d’exercice illégal de la médecine est puni deux fois plus (deux ans d’emprisonnement et 30 000 euros d’amende) par les articles L4161-1 à L4161-6 du Code de la santé publique, il n’existe aucun équivalent pour les experts judiciaires.

Ainsi toute agence de traduction « ordinaire », c’est-à-dire sans aucune assermentation, peut [1] proposer à ses clients d’effectuer des traductions assermentées. Comme elle ne peut les effectuer, et qu’il est strictement interdit aux experts de signer une traduction qu’ils n’auraient pas réalisé par eux-mêmes, il s’agit d’un marché sous-traité en totalité.

Premier impact, ce n’est légalement pas possible pour les marchés publics, l’article 1 de la loi de 1975 modifié par la loi MURCEF n° 2001-1168 du 11 décembre 2001 interdisant la sous-traitance intégrale. Mais notons qu’il n’y a jamais eu de condamnation.

Même sur les marchés privés, on comprend mal l’intérêt pour les clients : sous-traitance totale est synonyme de surcoût, et d’autre part, la confidentialité s’en trouve amoindrie, les documents transitant par des mains intermédiaires et n’ayant pas prêté serment.

Et pourtant les agences de traduction non assermentées sont présentes massivement et détiennent probablement plus de la moitié du marché de la traduction assermenté.

Notre profession et les usagers gagneraient à ce que ces points soient éclaircis.

[1] Ce point même est incertain. La loi du 29 juin 1971 protège le titre d’expert près les tribunaux et interdit, dans son article 4, « l’usage d’une dénomination présentant des ressemblances de nature à causer une méprise dans l’esprit du public ». Cependant aucune jurisprudence n’est, à ce jour, venu préciser si proposer des « traductions assermentées » laisse à croire que l’on est « expert près les tribunaux » bien que la réponse tombe sous le sens. Alors une grande part des agences devraient se retirer de cette activité.


Seuls les experts connectés peuvent commenter les articles.